3527 Stockholm, une architecture flexible pensée par Inès Lamunière

“Nous avons imaginé Stockholm comme un immeuble de bureaux dans lequel on se sent aussi bien qu’à la maison. »
Nous avons interviewé Inès Lamunière, l’une des références de l’architecture en Suisse. Elle nous parle aujourd’hui du projet Stockholm et de la future rénovation du Centre Œcuménique.

Quelques mots sur Inès Lamunière
Passionnée et passionnante, à la fois architecte et professeure à l’EPFL, Inès Lamunière s’investit dans des projets de renom comme dans des projets plus intimistes avec rigueur, créativité et émotion. Parmi ses réalisations phare, la rénovation du siège du Bureau International du Travail, l’Opéra de Lausanne ou la nouvelle gare souterraine de Genève Cornavin. Plus récemment, Inès Lamunière et son bureau dl-a, designlab-architecture ont remporté le concours organisé par la banque Pictet pour l’extension de son siège situé aux Acacias, à Genève. Interview d’une femme hors du commun.

Inès Lamunière, quelques mots tout d’abord sur votre parcours et votre passion de l’architecture.
Je fais ce métier depuis 40 ans, et je suis née pour ainsi dire dedans, puisque mon père, Jean-Marc Lamunière, fut l’une des figures importantes de la scène architecturale helvétique. Ainsi, j’ai évolué et me suis imprégnée d’expériences spatiales qui me nourrissent et me passionnent tous les jours. En architecture, chaque projet permet de renouveler les questions autant que les réponses. Nos expériences autant que nos connaissances du monde environnant, nous permettent l’espoir de l’innovation.

Votre bureau a été mandaté sur deux projets au sein de Green Village. Pouvez-vous nous en dire plus à ce propos ?
Dans le cadre du plan de quartier de Green Village et suite à un concours, nous menons deux projets de front. Tout d’abord, nous avons la responsabilité de la rénovation et transformation du bâtiment historique du Conseil Œcuménique des Églises (COE), aujourd’hui classé au patrimoine. Nous avons également été mandatés pour définir l’architecture du bâtiment administratif Stockholm, pour le compte d’Implenia. Ces deux immeubles ont pour point commun de donner sur le Jardin Brugger, également classé au patrimoine, qui est le cœur d’îlot de l’ensemble du quartier, et qui marque une relation entre les deux édifices.

Comment avez-vous abordé le projet de rénovation du Centre Œcuménique ?
C’est un projet très intéressant. Il a été réalisé en plusieurs étapes et terminé en 1967. D’une part, le bureau Honegger Frères a été chargé de la réalisation des parties fonctionnelles du bâtiment, et d’autre part, Svend Erik Møller, architecte danois, a été responsable des parties représentatives, dont la remarquable chapelle œcuménique. Dans son ensemble, le bâtiment combine rationalité et économie avec de fortes identités symboliques.

Sa rénovation doit conserver le caractère moderne de l’édifice. L’entrée, le grand hall-atrium central, la chapelle ainsi que la grande salle de conférence, seront restaurés dans leur état d’origine. Des bureaux seront aménagés sur-mesure pour les équipes du Centre Œcuménique dans les parties précédemment occupées par des usages aujourd’hui obsolètes. Les façades seront également rénovées. Le toit, quant à lui, restera végétalisé.

Comment avez-vous imaginé l’intégration de l’immeuble Stockholm, au cœur d’un ensemble tel que Green Village ?
Stockholm est au cœur du futur quartier et il est en relation visuelle forte avec le bâtiment historique du COE. Nous l’avons appréhendé de manière particulière, puisque qu’il propose des surfaces administratives à vendre en PPE, avec une recherche de propriétaires tels que des missions, des consulats, des acteurs de la Genève internationale mais aussi des PME. Sa volumétrie, tout comme ses larges plateaux et ses matériaux, se démarquent de l’ensemble du nouveau quartier par une géométrie plus affirmée des horizontales et un motif de colonnes porteuses en façade. Au cœur du quartier, il devrait évoquer le caractère communautaire des institutions qui y prennent place.

Qu’avez-vous souhaité apporter avec l’architecture des façades ?
Le bâtiment est défini par une couronne de colonnes extérieures, que nous avons distinguées entre des colonnes dites « femmes » et « hommes ». Ainsi, on retrouve visuellement un doux mélange qui incarne la communauté et la diversité, alternant entre colonnes circulaires et carrées.

En termes d’aménagement, que propose-t-il ?
Nous avons souhaité offrir aux entreprises intéressées une grande liberté d’aménagement, en créant 2 noyaux et un hall central par plateau, éléments qui facilitent des cloisonnements flexibles. Cette disposition permet d’avoir deux entrées différentes, tout en intégrant des activités commerciales en rez-de-chaussée. Le vide entre les noyaux permet des vues sur le lac ou sur le Jura.

Ainsi conçu, l’immeuble propose un rez-de-chaussée inférieur connecté aux accès publics par la route, et un rez-de-chaussée supérieur, en lien direct avec le Jardin Brugger.

De plus, notre souhait de départ était de proposer une belle hauteur sous plafond. Avec Stockholm, nous sommes à près de 3 mètres, ce qui procure une sensation immédiate d’espace.

Quelle a été votre vision architecturale pour Stockholm ?
Nous avons donné à la structure du bâtiment de Stockholm une vision périphérique, avec des colonnes qui elles seules sont porteuses. Ce concept permet d’avoir des plateaux spacieux et extrêmement flexibles, notamment en termes de cloisonnement. Des blocs d’ascenseurs privatisés pourraient distribuer de manière indépendante les différents propriétaires, leur assurant sécurité et confidentialité à l’intérieur même de l’immeuble.

Quel est votre objectif en proposant des loggias dans un bâtiment administratif ?
L’objectif était d’apporter de la qualité de vie à un immeuble de bureaux. Les façades de bureaux sont d’ordinaire plutôt hermétiques, mais avec Stockholm, nous offrons la possibilité d’ouvrir les fenêtres et d’être en contact avec l’extérieur. Le Jardin Brugger sera un cœur d’îlot animé et les loggias offriront ainsi des zones de détente et de calme complémentaires dans les étages. L’enveloppe thermique du bâtiment propose de grands vitrages et des panneaux bois recouverts de métal qui peuvent également s’ouvrir. A la mi-saison, les utilisateurs pourront profiter d’une arrivée d’air extérieur. En hiver et en été, ils seront à contrario protégés du froid et de la chaleur.

Comment sont caractérisés les espaces intérieurs ?
De l’intérieur, les panneaux de l’immeuble sont semblables à des encadrements de fenêtres qui apportent de la lumière. De plus, un grand faux plancher permet d’intégrer tous les éléments électriques. Les plafonds sont donc libérés pour laisser place à l’espace, à moins que les utilisateurs souhaitent y intégrer des panneaux acoustiques. La hauteur sous plafond reste néanmoins très importante et accentue l’impression d’espace.

Stockholm est un immeuble de bureaux pensé en partie comme un bâtiment résidentiel ?
Oui, car je suis convaincue qu’aujourd’hui, nous devons nous sentir au bureau comme à la maison. Si nous souhaitons que nos collaborateurs prennent plaisir à venir au bureau, ils doivent selon moi, y être aussi à l’aise que chez eux. Ils doivent y trouver une ambiance cosy, presque intime, même lorsqu’ils travaillent en open space. Les tapis sont importants, le son doit être absorbé, et les coffee corners sont indispensables.

Construire des immeubles de bureaux est enrichissant. Cela nous pousse à réfléchir aux métiers et leur engagement envers l’avenir de la planète, au sens collectif, au travailler ensemble à l’insertion de tous dans une société en mouvement perpétuel. Le logement suit parfois des modèles plus classiques, peut-être parce que plus lié à l’intimité, et à l’individuel.

La durabilité est toujours un point clé, surtout à Green Village qui est le premier quartier durable SEED à Genève. Qu’en est-il du bâtiment Stockholm ?
La durabilité d’un immeuble intègre un critère indéniable : c’est sa durée de vie. Le béton, quoi qu’on en dise, est durable en cas de rénovation future. De plus, la coupe de cet immeuble, avec ses plafonds hauts, permet une meilleure ventilation, qui renforce le confort et le bien-être des utilisateurs. Avec une structure de béton bien pensée, nous pouvons faire évoluer l’immeuble dans le temps. Fort de ce constat, nous avons décidé d’utiliser au maximum du béton recyclé ainsi que du ciment bas carbone pour l’entier du bâtiment, véritable innovation sur un bâtiment de cette taille, ayant un impact majeur sur la diminution des émissions de carbone en construction de Stockholm. Ainsi, le bâtiment bénéficiera d’une labellisation de pointe, notamment grâce à SNBS GOLD et THPE-2000W.

Comment voyez-vous Stockholm, en quelques mots-clés ?
C’est un bâtiment conçu pour une communauté plurielle, avec des plateaux et une diversité de modes de travail. Institutionnellement, il s’insère parfaitement dans la Genève internationale et répond pleinement aux enjeux environnementaux actuels.